Ced VERNAY

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Regards sur l’oeuvre de Chuck Close

Par ses grands portraits Chuck Close nous convie à une expérience visuelle visant à nous interpeller sur la nature d’une image. Cultivant les faux-semblants, son travail nous amène à regarder la photographie autrement et à questionner le problème de l’objectivité de la vision face à l’objectivité de la pensée.

Fidèle à une ligne de travail ininterrompue du début des années 60 à aujourd’hui, Chuck Close nous présente trois séries de portraits, fruits de ses travaux les plus récents. Noir et blanc puis couleur, les deux premières sont photographiques tandis que la troisième se compose de lithographies d’après peinture.

D’un format conséquent (153 x 125 cm), les visages en gros plan nous tiennent d’abord à la distance qu’impose leur gigantisme, on les observe détail à détail, on scrute le reflet d’humanité qui passe par les regards, on tente de décrypter l’expression clé qui pourrait renseigner sur la disposition d’âme du modèle, on se prête au jeu de l’identification, ajoutant presque par réflexe une couche de sens à l’œuvre.

Cependant, au-delà de cette prime accroche, c’est à l’approche que le face à face prend intensité. A distance intime observons les taches blanches qu’on croyait de lumière, examinons les transitions entre les contours, parcourons sur l’image, la distance qui sépare le point le plus proche du point le plus éloigné de l’œil photographique. L’objet véritable de la représentation surgit alors, nous faisant comprendre que depuis le premier regard lancé à l’œuvre, c’est à une expérience visuelle que l’on prend part.

Admirateur de Nancy Graves, Sol LeWitt ou Richard Serra, Chuck Close se vexe quand on le rattache aux mouvements hyperréaliste et photoréaliste. Lui qui, à la manière de Cézanne au regard des Impressionnistes, a côtoyé ces groupes sans jamais réellement y adhérer, est plus proche de l’art minimal et de l’art conceptuel.
Ayant utilisé la peinture en noir et blanc puis en couleur, le pastel, l’aquarelle, des pastilles de papier, des grilles d’unités de couleurs contrastées, la gravure, le daguerréotype, c’est sur le procédé de fabrique de l’image que son travail se centre afin d’en questionner la perception.

Entremêlant investigations scientifiques et esthétiques, il utilise pour cette exposition la photographie, reproduite non pas par tirage mais selon des procédés nouveaux de l’estampe qu’il accompagne et supervise parfois pendant plus de deux ans.
Ainsi, en explorant le thème du rapprochement entre réalité et illusion, en excitant leurs points de rupture, ce sont les zones d’influences entre peinture et photographie qu’il met en lumière.

Précisément, lorsque l’on s’approche des taches de lumière blanche éblouissant la chevelure de Lucas Samaras, ou écumant le front de Jasper Johns, on ne voit plus un espace appartenant au monde de la représentation photographique, mais le grain d’un papier fait à la main renvoyant à la surface plane. Cela a pour effet de conférer une sorte de statut flottant à l’œuvre par le rappel inévitable du procédé de peinture consistant à laisser apparent le brun de la toile. Cette dualité entre élément du monde matériel et élément de l’espace feint est proprement pictural tout comme le sont les fonds noirs ou blancs.

De même, Chuck Close aborde le visage comme un site, un paysage à parcourir des yeux, où tout se joue dans les zones de transition entre les plans, de loin ce sont des zones cohérentes agencées par une nouvelle forme de perspective atmosphérique photographique, de près il y a une tension entre ces plans, des passages. D’un contour ectoplasmique on peut verser dans une peau de bronze, transiter par une oreille brumeuse de camaïeux, puis fréquenter une tempe au coloris magmatique avant de rallier l’œil, point d’appel et donc de focus du cliché.

Les œuvres de Chuck Close, anéanties par la reproduction photographique, ne s’articulent pas autour du corps et de sa représentation sociale mais autour de l’image et de sa forgerie (d’ailleurs, to forge en anglais ne signifie-t-il pas fabriquer de la fausse monnaie?). On peut à partir de là s’interroger sur le statut actuel de l’image et l’authenticité de son éloquence à l’heure du morphing, des logiciels de retouche et des imprimantes laser, effrayante perfection que la technologie produit dans sa froide efficacité.

L’artiste nous dirait sans doute, après avoir essayé toutes ces années de montrer les divergences d’objectivité de ses procédés de fabrication, qu’à la manière dont opère une lentille photographique, l’image est ce que l’œil humain en fait.

Source Antoine Isenbrandt